Exercice physique
L'entraînement à jeun: meilleur pour la perte de poids?
Revue critique de la littérature sur le sujet. Est-ce efficace ou pas?
par
Julien Martel
10 avril 2024
12
min
L'entraînement aérobique à jeun, c'est-à-dire réaliser un exercice après une période de jeûne nocturne, est une stratégie souvent préconisée par plusieurs pour optimiser l'oxydation des graisses et favoriser la perte de poids. Mais son réel impact sur le métabolisme énergétique et la composition corporelle par rapport à un entraînement non à jeun (après avoir consommé des glucides) reste débattu.
De nombreuses études ont analysé les réponses métaboliques aiguës à l'exercice réalisé à jeun ou en état nourri, notamment en termes d'oxydation des lipides, de régulation de la glycémie et de l'insulinémie. Certaines suggèrent qu'un exercice aérobie pratiqué à jeun pourrait augmenter significativement l'utilisation des graisses comme substrat énergétique pendant l'effort. Cet effet serait lié à une plus grande disponibilité des acides gras libres circulants et à une moindre utilisation du glycogène musculaire en l'absence d'apport récent de glucides.
Dans cet article, nous allons synthétiser les principales données issues de 4 études portant sur les effets métaboliques comparés de l'entraînement aérobie à jeun vs non à jeun chez l'adulte. Nous analyserons leurs résultats concernant l'oxydation des graisses pendant l'exercice, les variations des taux d'acides gras libres, de glucose et d'insuline, ainsi que leurs implications potentielles sur la composition corporelle et la santé métabolique et la perte de poids.
Études analysées
Article 1 - "Body composition changes associated with fasted versus non-fasted aerobic exercise" (Schoenfeld et al. 2014) :
- Étude randomisée contrôlée sur 20 jeunes femmes non obèses
- Deux groupes : exercice aérobie à jeun (FASTED) ou après un repas (FED)
- Entraînement de 1h d'exercice aérobie modéré 3x/semaine pendant 4 semaines
- Régime hypocalorique contrôlé pour induire un déficit calorique
- Mesures avant/après : masse corporelle, IMC, % masse grasse, tour de taille, masse grasse, masse non-grasse
Article 2 - "The Effects of Six Weeks of Fasted Aerobic Exercise on Body Shape and Blood Biochemical Index in Overweight and Obese Young Adult Males" (Liu et al. 2022) :
- Étude randomisée contrôlée sur 30 jeunes hommes en surpoids/obèses
- 3 groupes : exercice aérobie à jeun (FAE), exercice non à jeun (NFAE), contrôle
- Marche rapide sur tapis 30 min, 5x/semaine pendant 6 semaines
- Régime hypocalorique contrôlé
- Mesures avant/après : anthropométrie, indices biochimiques sanguins
Article 3 - "Effects of aerobic exercise performed in fasted v. fed state on fat and carbohydrate metabolism in adults" (Vieira et al. 2016) :
- Revue systématique et méta-analyse de 27 études contrôlées randomisées
- Comparaison exercice aérobie à jeun vs non à jeun chez 273 adultes
- Mesures : oxydation des lipides pendant l'exercice, concentrations d'insuline, glucose, AGNE avant/après
Article 4 - “Interval training in the fed or fasted state improves body composition and muscle oxidative capacity in overweight women” (Gillen et al. 2013)
- 16 femmes en surpoids/obèses
- Réparties en 2 groupes : entraînement à jeun (FAST) ou après un repas (FED)
- Entraînement intervenale haute intensité (HIIT) pendant 6 semaines
- 18 sessions de 10 intervalles de 60 sec à 90% FCmax, avec 60 sec de repos
- 30 min d'exercice intense par semaine
Mesures
- Avant/après :
- Composition corporelle (DEXA)
- Biopsie musculaire au repos
- Test de tolérance au glucose
Physiologie de base - Oxydation des graisses
L'oxydation des graisses est le processus par lequel les acides gras sont métabolisés pour produire de l'énergie sous forme d'ATP. Cela se produit principalement dans les mitochondries des cellules musculaires et d'autres tissus.
Clinical manifestations and management of fatty acid oxidation disorders - Scientific Figure on ResearchGate. Tiré de cette source
Les principales étapes sont :
1. Lipolyse : Les triglycérides stockés dans les adipocytes sont hydrolysés par la lipase hormono-sensible, libérant des acides gras libres (AGNE) et du glycérol dans la circulation sanguine. Ce processus est stimulé par les catécholamines (adrénaline, noradrénaline) et inhibé par l'insuline.
2. Transport des AGNE : Les AGNE circulants sont captés par les cellules musculaires via des transporteurs comme les protéines de liaison des acides gras (FABP).
3. Entrée mitochondriale : Les AGNE sont activés en acyl-CoA, puis transportés dans la mitochondrie par la navette carnitine, dont l'étape limitante est catalysée par l'enzyme carnitine palmitoyl-transférase 1 (CPT-1).
4. Bêta-oxydation : Dans la matrice mitochondriale, les acyl-CoA subissent une série de réactions cycliques de la bêta-oxydation, produisant des molécules d'acétyl-CoA qui entrent dans le cycle de Krebs.
5. Cycle de Krebs et chaîne respiratoire : L'acétyl-CoA est métabolisé via le cycle de Krebs, fournissant des électrons à la chaîne de transport d'électrons pour produire de l'ATP par phosphorylation oxydative.
La régulation de l'oxydation des graisses implique de nombreux facteurs :
- Disponibilité des substrats (AGNE, glucose, etc.)
- Activité des enzymes clés (LHS, CPT-1, etc.)
- Concentration d'hormones (insuline, catécholamines, leptine, adiponectine, etc.)
- État nutritionnel (jeûne, prise alimentaire, etc.)
- Intensité et durée de l'exercice
- Capacité oxydative musculaire
En période de jeûne ou d'exercice, l'oxydation des graisses est favorisée par la baisse de l'insulinémie et l'augmentation des catécholamines, stimulant la lipolyse et l'entrée des AGNE dans les mitochondries musculaires. C'est un processus clé pour fournir l'énergie nécessaire dans ces conditions.
Est-ce que l'entraînement à jeun améliore l'oxydation des graisses?
L'entraînement à jeun semble effectivement améliorer l'oxydation des graisses pendant l'exercice, comme le montre cette méta-analyse. Les principales études soutiennent ces conclusions.
- La méta-analyse conclut à une augmentation d'environ 3g de l'oxydation des graisses lors d'un exercice aérobie à jeun par rapport à un exercice non à jeun.
- Plusieurs études ont observé une oxydation des graisses supérieure de 20 à 30% lors d'exercices aérobies réalisés à jeun par rapport à l'état nourri (Derave et al. 2008, Gonzalez et al. 2013, Stannard et al. 2010).
- Cette augmentation de l'oxydation des graisses à jeun semble plus prononcée pour les exercices d'intensité légère à modérée (< 70% VO2max) que pour les intensités plus élevées.
D'un point de vue physiologique, plusieurs mécanismes expliquent ces observations :
1) À jeun, les niveaux d'insuline sont bas, ce qui favorise la lipolyse (dégradation des triglycérides en acides gras libres) dans le tissu adipeux. Les acides gras libres peuvent alors être oxydés par les muscles.
2) Le faible niveau de glycogène musculaire et hépatique à jeun oriente préférentiellement le métabolisme vers l'oxydation des graisses comme source d'énergie.
3) L'augmentation des concentrations d'hormones lipolytiques comme les catécholamines (adrénaline, noradrénaline) à jeun stimule la lipolyse et l'oxydation des graisses.
4) Certaines études suggèrent que l'entraînement régulier à jeun pourrait induire des adaptations métaboliques favorisant l'oxydation des graisses, comme une augmentation des enzymes impliquées dans le transport et l'oxydation des acides gras. Voici quelques-unes des principales enzymes concernées :
- La lipoprotéine lipase (LPL) : Cette enzyme est responsable de l'hydrolyse des triglycérides circulants pour libérer les acides gras dans le sang. Un entraînement à jeun régulier peut augmenter l'activité de la LPL musculaire, favorisant ainsi l'apport d'acides gras aux muscles.
- La protéine de transport des acides gras (FABPm) : Cette protéine facilite le transport des acides gras à travers le cytosol vers la mitochondrie. Son expression peut être augmentée par l'entraînement à jeun.
- La carnitine palmitoyl transférase 1 (CPT-1) : C'est l'enzyme limitante pour l'entrée des acides gras dans la mitochondrie pour leur oxydation. L'entraînement à jeun peut induire une augmentation de l'activité et de l'expression de la CPT-1.
- Les enzymes du cycle de l'oxydation des acides gras comme l'acyl-CoA déshydrogénase : Ces enzymes catalysent les différentes étapes de la β-oxydation des acides gras dans la mitochondrie. Leur activité peut être accrue par l'entraînement à jeun.
- L'hormone sensitive lipase (HSL) : Cette lipase est impliquée dans la lipolyse du tissu adipeux, libérant les acides gras. Son activité peut être augmentée par l'entraînement en condition de jeûne.
En résumé, un entraînement régulier réalisé à jeun semble pouvoir induire des adaptations métaboliques favorisant le transport, la mobilisation et l'oxydation des acides gras au niveau musculaire, en modulant l'activité et/ou l'expression de diverses enzymes clés de ces voies métaboliques.
Est-ce que l'entraînement à jeun améliore la composition corporelle plus que l'entraînement non à jeun?
L'étude de Schoenfeld et al. (2014) est l'une des rares à avoir directement comparé les changements de composition corporelle entre un entraînement aérobie à jeun et non à jeun, dans le cadre d'un déficit calorique contrôlé. Après 4 semaines d'intervention, les deux groupes (jeun et non-jeun) ont perdu de manière significative du poids corporel (jeun : -1,6 kg, p=0,0005 ; non-jeun : -1,0 kg, p=0,0005) et de la masse grasse (jeun : -1,1 kg, p=0,02 ; non-jeun : -0,7 kg, p=0,02). Cependant, aucune différence significative n'a été observée entre les groupes pour ces paramètres.
Des résultats similaires ont été rapportés par Gillen et al. (2013) qui n'ont pas non plus noté de différence significative sur la perte de poids corporel totale entre un entraînement en intervalles réalisé à jeun ou en état nourri chez 16 femmes en surpoids/obèses après 6 semaines.
En revanche, quelques études suggèrent un léger avantage de l'entraînement à jeun pour la perte de masse grasse spécifiquement :
- Van Proeyen et al. (2011) ont montré, chez des hommes actifs en régime isocalorique, une augmentation non significative de la masse corporelle de +1,4 kg dans le groupe nourri après 6 semaines, tandis que le groupe à jeun n'a pas pris de poids.
- Trabelsi et al. (2012) ont rapporté une diminution significative du pourcentage de masse grasse de -1,5% (p<0,05) dans le groupe à jeun après 4 semaines d'entraînement aérobie pendant le Ramadan, contre aucun changement dans le groupe nourri. La majorité de la différence par contre était expliquée par un plus grand déficit calorique.
- Hackett et Hagstrom (2017), dans leur méta-analyse, ont calculé une différence moyenne de -0,39 kg (IC95% -0,77 à -0,01) en faveur de l'entraînement à jeun pour la perte de masse grasse par rapport à l'entraînement non à jeun.
Cependant, la plupart des études n'ont pas mis en évidence de différence significative sur les changements de composition corporelle entre les deux conditions lorsque l'apport calorique était contrôlé. Par exemple, dans l'étude de Liu et al. (2022) sur 6 semaines chez 30 hommes en surpoids, bien que le groupe à jeun ait montré une tendance à une plus grande diminution du pourcentage de masse grasse (-1,38% vs -0,94%), cette différence n'était pas statistiquement significative.
Donc, si l'entraînement à jeun semble pouvoir conférer un léger avantage pour la perte de masse grasse spécifiquement, son impact sur la composition corporelle globale par rapport à un entraînement non à jeun reste relativement modeste lorsque l'apport calorique est contrôlé sur le long terme. Les différences rapportées dans la littérature sont généralement faibles et non significatives pour la plupart des études.
Est-ce que l'entraînement à jeun augmente la perte de poids?
La plupart des études n'ont pas mis en évidence de différence significative sur la perte de poids totale entre l'entraînement réalisé à jeun ou non, lorsque l'apport calorique était contrôlé.
- L'étude de Schoenfeld et al. (2014) n'a montré aucune différence significative entre les groupes jeun et nourri pour la perte de poids après 4 semaines (-1,6 kg vs -1,0 kg).
- Gillen et al. (2013) n'ont pas non plus noté de différence sur le poids corporel entre un entraînement fractionné réalisé à jeun ou en état nourri chez 16 femmes en surpoids après 6 semaines.
- Dans l'étude de Van Proeyen et al. (2011) en régime hypercalorique, le groupe nourri a pris significativement 1,4 kg tandis que le groupe à jeun n'a pas pris de poids après 6 semaines. Mais en régime isocalorique, aucune différence de poids n'a été observée.
Cependant, quelques études suggèrent un léger avantage de l'entraînement à jeun pour la perte de poids :
- Hackett et Hagstrom (2017), dans leur méta-analyse, ont calculé une différence moyenne de -0,39 kg (IC95% -0,77 à -0,01) en faveur de l'entraînement à jeun pour la perte de poids.
- Liu et al. (2022) ont rapporté une tendance non significative à une plus grande perte de poids avec l'entraînement à jeun (-2,71 kg) qu'en état nourri (-2,13 kg) après 6 semaines chez 30 hommes en surpoids.
Mais dans l'ensemble, la majorité des études contrôlées n'ont pas mis en évidence de différence significative sur la perte de poids totale entre les deux conditions lorsque l'apport calorique était équivalent. L'avantage de l'entraînement à jeun sur ce paramètre semble donc relativement modeste, voir nul selon les études. Ce n’est pas surprenant, car au final, même si l’oxydation des graisses est augmentée pendant l’entraînement à jeun, les individus auront tendance à compenser cette augmentation avec un apport calorique augmenté ensuite.
Y a-t-il d'autres avantages ou désavantages métaboliques?
Sensibilité à l'insuline et contrôle de la glycémie
Plusieurs études suggèrent que l'entraînement régulier à jeun pourrait améliorer la sensibilité à l'insuline et le contrôle de la glycémie :
- L'étude de Van Proeyen et al. (2011) a montré qu'un entraînement de 6 semaines à jeun induisait de meilleures améliorations de la tolérance au glucose et de la sensibilité à l'insuline qu'un entraînement non à jeun chez des hommes actifs.
- De Bock et al. (2008) ont rapporté qu'un entraînement de 6 semaines à jeun augmentait de 23% la sensibilité à l'insuline chez des hommes actifs, contre seulement 4% pour un entraînement non à jeun.
- D'autres études n'ont pas mis en évidence de différence significative sur la sensibilité à l'insuline entre les deux conditions (Schoenfeld et al. 2014, Gillen et al. 2013).
Les mécanismes proposés sont une meilleure régulation des transporteurs de glucose GLUT-4, une augmentation des enzymes oxydatives musculaires et une diminution des lipides intra-musculaires avec l'entraînement à jeun.
Fatigue et sensations de faim/soif
Bien que peu d'études se soient penchées spécifiquement sur ces aspects, certaines observations peuvent être faites :
- L'étude de Schoenfeld et al. (2014) n'a pas rapporté d'effets secondaires majeurs avec l'entraînement à jeun pendant 4 semaines.
- Cependant, Deldicque et al. (2010) ont noté des sensations de faim et de fatigue plus importantes lors d'un entraînement à jeun de 36h par rapport à un entraînement non à jeun.
- Kim et al. (2015) ont observé une augmentation significative du cortisol après un exercice à jeun chez des hommes obèses, pouvant indiquer un stress métabolique accru.
Ainsi, bien que généralement bien toléré sur le court terme, l'entraînement très prolongé à jeun pourrait induire une fatigue et des sensations de faim/soif plus prononcées chez certains individus.
L'entraînement régulier à jeun semble pouvoir conférer certains bénéfices métaboliques comme une meilleure sensibilité à l'insuline, mais les preuves restent mitigées. Les principaux désavantages rapportés sont une possible fatigue accrue et des sensations de faim lors d'entraînements très prolongés à jeun. Mais dans l'ensemble, cet effet semble relativement bien toléré sur des périodes de quelques semaines.
Points clés
1. L'entraînement à jeun semble augmenter l'oxydation des graisses de 20 à 30% pendant l'exercice par rapport à l'état nourri, en particulier pour les intensités légères à modérées. Ceci est dû à une plus grande disponibilité des acides gras libres et à une orientation préférentielle du métabolisme vers les lipides en l'absence d'apports récents de glucides.
2. Bien que l'entraînement à jeun puisse conférer un léger avantage pour la perte de masse grasse spécifiquement, la plupart des études n'ont pas mis en évidence de différence significative sur la perte de poids totale ou les changements de composition corporelle par rapport à un entraînement non à jeun, lorsque l'apport calorique était contrôlé.
3. Certaines études suggèrent que l'entraînement régulier à jeun pourrait améliorer la sensibilité à l'insuline et le contrôle de la glycémie, mais les résultats sont mitigés.
4. L'entraînement à jeun semble généralement bien toléré sur le court terme, mais des sensations de fatigue et de faim accrues peuvent survenir lors d'entraînements très prolongés à jeun.
Implications pratiques pour la perte de poids
D'un point de vue pratique, que peut-on en déduire pour optimiser la perte de poids ?
Déficit calorique primordial
Que l'entraînement soit réalisé à jeun ou non, le facteur le plus important pour la perte de poids reste de maintenir un déficit calorique sur le long terme. L'entraînement à jeun ne semble pas conférer d'avantage majeur sur ce point.
Sensibilité à l'insuline
Pour les personnes souffrant d'insulinorésistance ou de troubles du métabolisme glucidique, l'entraînement régulier à jeun pourrait aider à améliorer la sensibilité à l'insuline, bien que les preuves soient mitigées.
En conclusion, bien que l'entraînement à jeun puisse conférer certains bénéfices métaboliques marginaux, le facteur clé pour une perte de poids efficace reste avant tout le maintien d'un déficit calorique contrôlé sur le long terme, quelle que soit la stratégie nutritionnelle adoptée autour des séances d'entraînement.