Nutrition
Consommation d’alcool: Dose optimale pour la longévité?
La dose fait le poison. Mais quelle est cette dose?
par
Julien Martel
9 mai 2024
12
min
Consommation d’alcool: Dose optimale pour la longévité?
On a tous entendu à quelque part le récit d’une ou un centenaire, en forme physique incroyable, qui nous donne son secret pour une longue vie en santé: ‘’Un double gin sur glace en avant midi et 2 cigarettes le soir’’, ou toutes combinaisons aussi mauvaises pour 99.999% de la population n’ayant pas gagné à la loterie génétique.
Il existe une croyance répandue selon laquelle une consommation faible à modérée d’alcool présente des avantages uniques pour la santé et des positions complètement différentes d’un pays à l’autre à cet égard. En 2023, le Québec était sous le choc du rapport du CCDUS qui stipulait que >2 consommations par semaine mettait tout le monde à risque plus élevé de cancer du colon et du sein.
Regardons ensemble la littérature sur le sujet et ce qu’on peut en tirer (et ne pas en tirer).
L’éthanol
L'éthanol est un alcool et le principal type d'alcool présent dans les boissons alcoolisées. Il est produit naturellement par la fermentation des sucres par les levures, et synthétiquement par des procédés chimiques tels que l'hydratation de l'éthylène. Également connu sous le nom d'alcool éthylique ou d'alcool de grain, est un composé organique chimique de formule moléculaire C2H6O ou C2H5OH. C'est un liquide clair, incolore, volatilel et inflammable avec une odeur caractéristique et au goût légèrement brûlant. L'éthanol est un dépresseur du système nerveux central qui altère la fonction des canaux ioniques sur plusieurs sites de récepteurs, notamment ceux du N-méthyl-D-aspartate (NMDA), de la sérotonine 5-hydroxytryptamine [5-HT3], de la glycine et de l'acide gamma-aminobutyrique (GABA).
Oui l’éthanol est toxique. Il n’y a pas de débat sur ce sujet. D’une part, sa consommation est liée à plus de trois millions de décès par an dans le monde. De multiples revues systématiques et méta-analyses ont constamment trouvé que des niveaux élevés de consommation d'alcool sont associés à un risque accru de mortalité toutes causes par rapport aux abstinents à vie ou aux consommateurs modérés.
D’un autre côté, des études épidémiologiques soutiennent qu’une consommation quotidienne modérée d'alcool a été associée à une réduction du risque de plusieurs maladies graves, notamment le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires (infarctus).
Grandes études
Notez ici que les consommation sont en grammes (g). Un verre de vin, une bière ou un shooter de Tequila Bang Bang (!) tournent tous autour de 13-15g.
1 - Une étude de 2018 dans The Lancet, "Risk thresholds for alcohol consumption: combined analysis of individual-participant data for 599 912 current drinkers in 83 prospective studies" a trouvé que:
Pour la mortalité toutes causes confondues, on a observé une association avec le niveau de consommation d'alcool, le risque de mortalité minimum se situant autour ou en dessous de 100 g par semaine.
La consommation d'alcool était approximativement linéairement associée à un risque plus élevé d'accident vasculaire cérébral (HR de 1,14 par augmentation de 100 g par semaine, IC à 95% 1,10-1,17), de maladie coronarienne hors infarctus du myocarde (1,06, 1,00-1,11), d'insuffisance cardiaque (1,09, 1,03-1,15), de maladie hypertensive fatale (1,24, 1,15-1,33) ; et d'anévrisme aortique fatal (1,15, 1,03-1,28).
En revanche, une consommation accrue d'alcool était associée de manière log-linéaire à un risque plus faible d'infarctus du myocarde (HR 0,94, 0,91-0,97).
Par rapport à ceux qui déclaraient boire >0-≤100 g par semaine, ceux qui déclaraient boire >100-≤200 g, >200-≤350 g ou >350 g par semaine avaient une espérance de vie à 40 ans réduite d'environ 6 mois, 1 à 2 ans ou 4 à 5 ans respectivement.
2 - L'étude de 2010 dans JAMA "Alcohol Dosing and Total Mortality in Men and Women" basée sur 1 015 835 participants a trouvé :
Une relation en forme de J entre la consommation d'alcool et la mortalité totale a été confirmée dans des études ajustées, chez les hommes comme chez les femmes. La consommation d'alcool, jusqu'à 4 verres par jour chez les hommes et 2 verres par jour chez les femmes, était inversement associée à la mortalité totale, avec une protection maximale de 18 % chez les femmes (intervalle de confiance à 99 %, 13 %-22 %) et de 17 % chez les hommes (intervalle de confiance à 99 %, 15 %-19 %). Des doses plus élevées d'alcool étaient associées à une augmentation de la mortalité.
L'association inverse chez les femmes disparaissait à des doses inférieures à celles des hommes. Lorsque les données ajustées et non ajustées étaient comparées, la protection maximale était seulement réduite de 19 % à 16 %. Le degré d'association chez les hommes était plus faible aux États-Unis qu'en Europe.
3 - Une étude de 2023 dans JAMA Network Open "Association Between Daily Alcohol Intake and Risk of All-Cause Mortality" a inclus 107 études :
Cette revue systématique et méta-analyse de 107 études de cohorte impliquant plus de 4,8 millions de participants n'a trouvé aucune réduction significative du risque de mortalité toutes causes chez les buveurs consommant moins de 25 g d'éthanol par jour (environ 2 verres standard canadiens comparés aux abstinents à vie) après ajustement pour des caractéristiques clés des études telles que l'âge médian et le sexe des cohortes étudiées.
Il y avait un risque significativement accru de mortalité toutes causes parmi les buveuses consommant 25 grammes ou plus par jour et parmi les buveurs hommes consommant 45 grammes ou plus par jour.
Risque Relatif (RR) de Mortalité Toutes Causes en Raison de la Consommation d'Alcool à Faible Volume (1,3-24,0 g d'Éthanol par Jour) Avec et Sans Ajustement pour le Risque de Confusion Potentiel par Chaque Covariable ou Ensemble de Covariables.
4 - Regardons aussi une autre grande étude de 2023 dans BMC Medicine intitulée ‘’ Alcohol consumption and all-cause and cause-specific mortality among US adults: prospective cohort study’’
Cette étude de cohorte basée sur la population comprenait des adultes de 18 ans et plus (n=918,529, âge moyen 46,1 ans; 48,0% hommes) issus de l'Enquête Nationale sur la Santé (1997 à 2014), suivis jusqu'au 31 décembre 2019.
La consommation d'alcool était répartie en sept catégories, allant des abstinents à vie aux buveurs lourds. Au cours d'un suivi moyen de 12,65 ans, 141,512 décès toutes causes ont été enregistrés.
Relation dose-réponse entre la consommation d'alcool et le risque de mortalité toutes causes. Une relation non linéaire de la consommation actuelle d'alcool (en tant que variable continue) avec la mortalité toutes causes (p < 0,05 pour le test non linéaire), en utilisant des estimations maximales ajustées (ajustées pour le sexe, l'âge, la race/ethnicité, l'éducation, le statut marital, l'indice de masse corporelle, l'activité physique, le tabagisme et les maladies diagnostiquées par un médecin (maladies cardiaques, accidents vasculaires cérébraux, cancer, diabète, hypertension, asthme, emphysème et bronchite chronique).
Il semble donc que c’est la dose qui fait le poison. Cette courbe est ‘’J’’ est omnipresente dans plusieurs études observationnelles et l’alcool ne fait pas exception. L’adage ‘’Trop, c’est comme pas assez” est rempli de sagesse quasi monastique.
Les buveurs occasionnels, légers ou modérés ont montré un risque plus faible de mortalité toutes causes (RR de 0,87 à 0,82) et de certaines maladies spécifiques comme les maladies cardiovasculaires et la maladie d'Alzheimer. En revanche, les buveurs importants et ceux qui pratiquent le binge drinking hebdomadaire présentaient un risque accru de mortalité toutes causes, de cancer et d'accidents (RR de 1,15 à 1,39)
Le vin rouge et le paradoxe français
Le "Paradoxe français" désigne l'observation que la population française présente des taux relativement faibles de maladies cardiovasculaires malgré une alimentation riche en graisses saturées. Ce paradoxe a d'abord été attribué à la consommation modérée de vin rouge en France. Cependant, les avantages pour la santé présumés du vin rouge, en particulier ceux attribués à l'antioxydant resvératrol, ont été largement réfutés.
De nombreuses études ont exploré les avantages potentiels pour la santé du vin rouge, citant sa riche teneur en antioxydants comme le resvératrol. Cependant, le resvératrol s'est avéré décevant dans les tentatives thérapeutiques chez les humains, principalement en raison de son métabolisme rapide dans le corps humain, limitant sa biodisponibilité et son potentiel thérapeutique. Lors de la consommation, le resvératrol est rapidement converti en divers métabolites par le foie et les intestins, qui sont ensuite excrétés. La biodisponibilité du resvératrol est considérée comme inférieure à 1 %, ce qui signifie que même si une grande dose est ingérée, la concentration de resvératrol dans le sang et les tissus restera trop faible pour avoir des effets biologiques significatifs.
L’étude CASCADE, un essai contrôlé randomisé de deux ans impliquant 224 patients atteints de diabète de type 2, est souvent cité comme preuve à l'appui des avantages de la consommation modérée de vin rouge.
Les participants ont été assignés à boire soit de l'eau minérale, soit du vin blanc, soit du vin rouge avec leur repas du soir tout en suivant un régime méditerranéen. Le groupe du vin rouge a montré des améliorations des niveaux de cholestérol HDL et de certains composants du syndrome métabolique par rapport au groupe de l'eau.
Cependant, la signification clinique de ces changements est discutable, et l'introduction simultanée du régime méditerranéen rend difficile d'isoler les effets du vin rouge seul.
Alors que les études observationnelles ont suggéré des avantages cardiovasculaires potentiels de la consommation modérée de vin rouge, ces découvertes doivent être interprétées avec prudence en raison des biais inhérents et des limitations des conceptions de recherche observationnelle, telles que le biais des "malades-abstinents" et les variables confondantes comme le statut socioéconomique et les facteurs de style de vie. Des essais cliniques plus grands et bien conçus avec des issues cliniques définies sont nécessaires pour établir définitivement les impacts sur la santé du vin rouge.
Les avantages pour la santé proposés du vin rouge, en particulier ceux attribués au resvératrol, ont été largement réfutés en raison de la faible biodisponibilité du resvératrol et des limitations de la recherche existante. Les avantages pour la santé observés dans des études comme CASCADE peuvent être plus attribuables au régime méditerranéen global plutôt qu'au vin rouge lui-même.
En conclusion
Bien que certaines études établissent un lien entre une consommation modérée d'alcool et des bénéfices pour la santé, il est essentiel de rester prudent quant à la promotion de l'alcool pour ses avantages supposés. Le concept selon lequel le vin rouge pourrait améliorer la santé cardiovasculaire doit être tempéré par le fait que les avantages sur l'abstinence totale ne sont pas définitivement prouvés.
L'éthanol est une substance toxique et aucune consommation d'alcool ne peut être considérée comme totalement sûre ou bénéfique pour la santé. Les bénéfices potentiels de l'alcool, surtout modéré, pourraient plutôt résulter d'un mode de vie qui comprend une consommation limitée de vin, idéalement lors des repas et loin du coucher.
Il est important de reconnaître que les liens entre consommation d'alcool et santé sont complexes, influencés par la génétique, les habitudes de vie et la nature et la quantité d'alcool consommé. La promotion de la consommation d'alcool devrait donc se faire dans une perspective de réduction des risques plutôt que comme une stratégie d'amélioration de la santé, autrement dit, il ne faut pas interpréter les résulats des études et les utiliser comme argument pour commencer à prendre de l’alcool ou à augmenter sa consommation.
Les recommandations de émises dans le rapport du CCDUS semblent allez dans ce sens, mais à la lumière des études revues, il m’apparaît un peu excessif de stipuler que >2 consommations par semaine augmenterait déjà le risque de contracter un cancer de façon significative et la littérature actuelle globale ne supporte pas cette affirmation. Elle doit être beaucoup plus nuancée.
Pour répondre à la question initiale soit: ‘’Existe t’il une quantié d’alcool optimale pour la longévité?’’, le débat reste ouvert mais fort est à parier que la réponse est probablement ‘’le moins possible’’. Maintenant quelle est la quantité ou le seuil qui peut au contraire, augmenter la mortalité de façon significative et diminuer la qualité de vie? La réponse est plus complexe et très individuelle. En l’absence de facteur prédisposant ou de maladies chroniques et misant sur des bonnes habitudes de vie globale, sujets dont je parle constamment, probablement que boire un verre de vin en mangeant quelques jours par semaine est bien correct. Après tout, chacun tolère un niveau de risque différent et le but de cet article est de fournir des études et un point de vue qui permet d’obtenir l’heure juste, dans l’état actuel des connaissances.
A+
Julien