Santé mentale et émotionnelle
Le trouble affectif saisonnier
Quand l'obscurité joue sur notre humeur!
par
Julien Martel
12 septembre 2024
10
min
Qu’est-ce que le trouble affectif saisonnier (TAS) ?
Le trouble affectif saisonnier (TAS) est un type de dépression qui suit un schéma saisonnier, apparaissant généralement durant les mois d’automne et d’hiver, lorsque l’exposition à la lumière diminue. Souvent appelé « dépression saisonnière » ou « blues hivernal », le TAS affecte des millions de personnes chaque année, provoquant des sentiments de tristesse, de manque d’énergie et d’irritabilité.
Selon la dernière édition du DSM-5, le TAS est classé comme un sous-type du trouble dépressif majeur. Les principaux critères diagnostiques incluent :
• Humeur dépressive pendant la majeure partie de la journée, presque tous les jours, durant les mois d’automne et d’hiver.
• Perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités autrefois appréciées.
• Changements significatifs de l’appétit (souvent des envies de glucides) ou du poids.
• Insomnie ou sommeil excessif.
• Fatigue et faible énergie, même après un repos adéquat.
• Sentiments de désespoir, de culpabilité ou d’inutilité.
• Difficulté à se concentrer ou à prendre des décisions.
• Pensées récurrentes de mort ou de suicide dans les cas graves.
Pour poser un diagnostic officiel de TAS, ces symptômes doivent se manifester de façon saisonnière pendant au moins deux années consécutives, avec une rémission complète au printemps et en été.
Quelques chiffres:
• 🌍 Affecte jusqu’à 10% de la population mondiale
• 😔 3% à 5% des Canadiens souffrent de TAS chaque année
• 🧑⚕️ Les femmes sont 4 fois plus touchées que les hommes
• 🌞 Le TAS survient principalement à l’automne et en hiver
Mécanismes physiologiques proposés pour le trouble affectif saisonnier
La physiopathologie du trouble affectif saisonnier (TAS) est complexe et multifactorielle, avec plusieurs mécanismes proposés qui se concentrent sur les perturbations des rythmes circadiens, la régulation de la sérotonine et la sécrétion de mélatonine. Bien que les voies causales définitives soient encore à l’étude, la compréhension actuelle de ces processus offre des perspectives sur la façon dont les changements saisonniers peuvent entraîner des troubles de l’humeur.
1. Perturbation des rythmes circadiens
L’une des théories les plus solidement établies est que le TAS résulte d’un désalignement entre l’horloge circadienne interne du corps et la réduction de la photopériode pendant les mois d’hiver. Le noyau suprachiasmatique (NSC), situé dans l’hypothalamus, régule les rythmes circadiens en répondant aux signaux lumineux. Durant les journées plus courtes de l’automne et de l’hiver, le NSC peut recevoir une stimulation lumineuse insuffisante, ce qui entraîne un retard de phase des rythmes circadiens. Ce désalignement peut affecter la sécrétion de mélatonine et de cortisol, perturbant ainsi les cycles veille-sommeil et la régulation de l’humeur.
Plusieurs études ont démontré que les individus atteints de TAS présentent des rythmes circadiens retardés par rapport aux témoins en bonne santé. Lewy et al. (2006) ont montré que les personnes atteintes de TAS ont souvent un retard de phase dans l’apparition de la mélatonine durant les mois d’hiver, ce qui peut être corrigé par la luminothérapie, suggérant que la perturbation circadienne est un élément clé de la physiopathologie du TAS.
2. Dysrégulation sérotoninergique
La sérotonine, un neurotransmetteur crucial pour la régulation de l’humeur, joue également un rôle central dans le TAS. Il existe des preuves que le système sérotoninergique devient dysrégulé en réponse à la réduction de l’exposition à la lumière du jour. Une hypothèse est que la diminution de la lumière réduit la disponibilité de la sérotonine dans le cerveau, entraînant des symptômes dépressifs.
Rosenthal et al. (1984), dans l’une des premières études sur le TAS, ont suggéré que les niveaux de liaison du transporteur de la sérotonine sont plus faibles en hiver chez les patients atteints de TAS. Cela conduit à une augmentation de la recapture de la sérotonine, réduisant ainsi l’activité sérotoninergique. Des recherches plus récentes confirment cela, montrant que la déplétion en tryptophane (un précurseur de la sérotonine) peut exacerber les symptômes du TAS. De plus, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont souvent efficaces pour traiter le TAS, ce qui soutient encore l’hypothèse d’une dysfonction sérotoninergique.
3. Dysrégulation de la mélatonine
La mélatonine, l’hormone responsable de la régulation des cycles veille-sommeil, joue un rôle significatif dans le TAS. La sécrétion de mélatonine augmente généralement en réponse à l’obscurité, facilitant le sommeil. Cependant, pendant les mois d’hiver, lorsque la lumière du jour est rare, la sécrétion de mélatonine est prolongée, ce qui peut entraîner une somnolence excessive, de la léthargie et de la fatigue, des symptômes caractéristiques du TAS.
Wehr et al. (2001) ont démontré que les individus atteints de TAS ont des niveaux de mélatonine nocturnes plus élevés durant l’hiver, qui reviennent à la normale en été. Cette sécrétion prolongée de mélatonine est considérée comme contribuant à l’hypersomnie et à la fatigue caractéristiques du TAS. Le succès de la luminothérapie pour traiter le TAS en supprimant la sécrétion de mélatonine soutient l’idée que cette hormone joue un rôle clé dans la physiopathologie du trouble.
4. Implication dopaminergique
Des recherches émergentes suggèrent également un rôle potentiel du système dopaminergique dans le TAS. La dopamine est impliquée dans la régulation de la motivation et des voies de la récompense, et des perturbations dans la transmission de la dopamine ont été impliquées dans la dépression. Les personnes atteintes de TAS présentent une disponibilité réduite des récepteurs dopaminergiques dans le striatum pendant l’hiver, ce qui peut contribuer à l’anhédonie et au manque de motivation observé chez les patients atteints de TAS.
5. Interactions génétiques et environnementales
Il existe également des preuves d’une prédisposition génétique au TAS, des études indiquant que les polymorphismes des gènes liés à la régulation circadienne, tels que CLOCK et PER3, peuvent augmenter la vulnérabilité au trouble. De plus, des facteurs environnementaux tels que la localisation géographique, qui influence l’exposition au soleil, jouent également un rôle significatif. Des études montrent que la prévalence du TAS augmente avec la latitude, avec des taux plus élevés dans les régions éloignées de l’équateur, où la lumière du jour en hiver est limitée.
Traitement pour le trouble affectif saisonnier
Le traitement du trouble affectif saisonnier (TAS) repose généralement sur une approche multimodale comprenant la pharmacothérapie, la psychothérapie et la luminothérapie, avec un choix d’intervention adapté à la gravité des symptômes et aux préférences du patient. Les directives récentes de l’American Psychiatric Association (APA) et d’autres autorités reconnues mettent en avant une combinaison de traitements de première ligne qui abordent les aspects physiologiques et psychologiques du trouble.
1. Pharmacothérapie
Le traitement pharmacologique reste une pierre angulaire de la gestion du TAS, en particulier dans les cas modérés à graves. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) tels que la sertraline, la fluoxétine et l’escitalopram sont souvent des agents de première ligne, soutenus par des preuves solides démontrant leur efficacité à améliorer les symptômes dépressifs associés au TAS. La sertraline réduit significativement les symptômes dépressifs chez les patients atteints de TAS par rapport au placebo, particulièrement pendant les mois d’hiver.
Les ISRS agissent en inhibant la recapture de la sérotonine, augmentant ainsi sa disponibilité dans la fente synaptique, ce qui est conforme à la dysrégulation sérotoninergique proposée dans le TAS. Un autre antidépresseur, le bupropion, a montré une efficacité spécifique dans le TAS en raison de son activité dopaminergique et noradrénergique.
2. Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), en particulier la TCC-TAS, a gagné en reconnaissance en tant qu’intervention non pharmacologique efficace. La TCC pour le TAS cible spécifiquement les pensées négatives et les comportements associés à l’apparition de l’hiver et à la réduction de la lumière du jour. Selon une étude marquante de Rohan et al. (2007), publiée dans l’American Journal of Psychiatry, la TCC-TAS était aussi efficace que la luminothérapie pour réduire les symptômes du TAS, avec l’avantage supplémentaire d’une rémission prolongée au cours des saisons suivantes.
L’approche thérapeutique implique d’identifier les pensées non adaptées concernant l’hiver, le manque de lumière du jour et les symptômes associés, puis de les remplacer par des schémas de pensée plus réalistes et équilibrés. La TCC-TAS intègre également l’activation comportementale, encourageant les patients à s’engager dans des activités agréables pour contrer la léthargie souvent observée dans le TAS. Des études à long terme indiquent que la TCC peut offrir des avantages plus durables que la luminothérapie, avec des taux de récurrence des épisodes dépressifs plus faibles au cours des années suivantes.
3. Luminothérapie
La luminothérapie, ou thérapie par la lumière, reste la modalité de traitement la plus étudiée pour le TAS et est fréquemment recommandée comme intervention de première ligne, notamment chez les patients présentant des symptômes légers à modérés. La luminothérapie fonctionne en exposant les individus à une lumière artificielle intense qui imite la lumière naturelle du soleil, visant à réguler les rythmes circadiens et à réduire la sécrétion de mélatonine. Ce traitement sera discuté plus en détail dans la section suivante.
4. Thérapies adjuvantes et modifications du mode de vie
En plus des traitements principaux par pharmacothérapie, TCC et luminothérapie, des interventions adjuvantes peuvent être bénéfiques pour les patients atteints de TAS. La supplémentation en vitamine D a été explorée en tant que traitement potentiel en raison de la relation entre l’exposition au soleil et la synthèse de la vitamine D.
Bien que les premières études aient donné des résultats mitigés, des preuves récentes suggèrent que la supplémentation en vitamine D peut avoir un effet modeste pour améliorer les symptômes dépressifs chez certains patients, en particulier ceux avec une carence documentée en vitamine D. Une méta-analyse a rapporté de petites mais significatives améliorations de l’humeur chez les individus carencés en vitamine D après supplémentation.
L’exercice et les interventions sur le mode de vie, telles que l’activité extérieure régulière et le maintien d’un horaire de sommeil cohérent, sont également fréquemment recommandés. L’exercice, en particulier, a montré qu’il augmentait les niveaux de sérotonine et améliorait l’humeur générale. L’exercice aérobie à l'extérieur réduisait de manière significative les symptômes dépressifs chez les individus atteints de TAS, soulignant l’importance de maintenir un mode de vie actif pendant les mois d’hiver.
Luminothérapie pour le trouble affectif saisonnier
La luminothérapie, ou thérapie par la lumière, est l’un des traitements les plus reconnus et les plus largement recommandés pour le trouble affectif saisonnier (TAS). Ce traitement non invasif utilise une lumière artificielle pour simuler l’exposition au soleil, aidant à réguler les rythmes circadiens et à réduire les symptômes dépressifs en ciblant les mécanismes physiologiques du TAS. De nombreux essais cliniques et méta-analyses soutiennent son efficacité, en faisant un traitement de première ligne dans la plupart des directives cliniques.
1. Mécanisme d’action
La luminothérapie est conçue pour corriger le retard de phase circadien et réduire la surproduction de mélatonine observée dans le TAS. En délivrant une lumière vive à la rétine, la luminothérapie influence le noyau suprachiasmatique (NSC) de l’hypothalamus, qui régule les rythmes circadiens. L’exposition à la lumière à des moments spécifiques de la journée aide à réaligner l’horloge interne du corps, réduisant ainsi efficacement les symptômes du TAS. De plus, la luminothérapie augmente la synthèse et la disponibilité de la sérotonine, un neurotransmetteur associé à la régulation de l’humeur, en modulant l’expression du transporteur de la sérotonine.
La luminothérapie est significativement plus efficace qu’un placebo pour le traitement du TAS, avec un taux de réponse moyen d’environ 60 % chez les patients recevant la luminothérapie contre 30 % dans les groupes témoins.
2. Types de luminothérapie
Il existe différentes formes de luminothérapie disponibles, la plus courante étant la luminothérapie par lumière vive (BLT). Cela implique l’utilisation de boîtes lumineuses émettant une lumière blanche intense à des intensités allant de 2 500 à 10 000 lux. L’intensité thérapeutique optimale est généralement considérée comme étant de 10 000 lux. Néamoins, simplement s'exposer à la lumière exterieure (même si c'est une journée non-ensoleillée) le niveau de lux est largement supérieur.
D’autres formes de luminothérapie incluent la simulation de l’aube, qui augmente progressivement l’exposition à la lumière le matin pour imiter un lever de soleil naturel. Les simulateurs d’aube sont souvent utilisés pour les patients qui ont du mal à se réveiller durant les mois d’hiver et qui souffrent de perturbations du sommeil. Un essai contrôlé randomisé a révélé que la simulation de l’aube était aussi efficace que la luminothérapie par lumière vive pour réduire les symptômes du TAS, en particulier chez les patients présentant des troubles du sommeil prononcés.
Bien que la luminothérapie à la lumière bleue ait été explorée en raison de sa capacité à influencer les cellules ganglionnaires rétiniennes contenant de la mélanopsine, qui participent à la régulation circadienne, la sécurité à long terme de l’exposition à la lumière bleue reste à l’étude. Pour cette raison, la plupart des directives cliniques recommandent la luminothérapie à la lumière blanche comme traitement standard.
3. Durée et moment de la luminothérapie
Le moment de la luminothérapie est crucial pour son efficacité. L’exposition à la lumière du matin est généralement considérée comme la plus efficace, car elle aide à avancer la phase circadienne, souvent retardée chez les personnes atteintes de TAS. La recommandation standard est d’utiliser la boîte à lumière dans les 30 minutes suivant le réveil, pendant environ 20 à 30 minutes par jour. L’exposition à la lumière matinale a montré une plus grande efficacité que l’exposition en soirée pour corriger le désalignement circadien et améliorer l’humeur.
4. Sécurité et effets secondaires
La luminothérapie est généralement considérée comme sûre, avec peu d’effets secondaires rapportés. Cependant, les patients doivent être surveillés pour d’éventuels effets indésirables, tels que des maux de tête, une fatigue oculaire, des nausées ou une irritabilité, en particulier lors de l’utilisation de boîtes lumineuses à haute intensité (10 000 lux). Certaines personnes peuvent également éprouver des insomnies si la luminothérapie est administrée trop tard dans la journée, car elle peut retarder la sécrétion de mélatonine et perturber le sommeil.
Les patients ayant des problèmes oculaires préexistants, tels que le glaucome ou les cataractes, devraient consulter un ophtalmologiste avant de commencer la luminothérapie pour éviter d’aggraver leur état. De plus, les individus prenant des médicaments photosensibilisants, tels que certains antibiotiques ou antipsychotiques, devraient faire preuve de prudence lorsqu’ils utilisent la luminothérapie en raison du risque accru de dommages rétiniens.
5. Efficacité
L’efficacité de la luminothérapie dans le traitement du TAS est bien soutenue par de nombreux essais contrôlés randomisés et méta-analyses. Une revue Cochrane (2015) a conclu que la luminothérapie est un traitement efficace pour le TAS, avec une efficacité comparable à celle de la pharmacothérapie dans de nombreux cas. De plus, la combinaison de la luminothérapie avec d’autres traitements, tels que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou les ISRS, peut offrir des avantages thérapeutiques accrus pour les patients présentant des symptômes plus graves.
L’apparition rapide des effets de la luminothérapie, typiquement dans les 1 à 2 semaines suivant le début du traitement, en fait une option attrayante pour les patients qui préfèrent des interventions non pharmacologiques. Les études montrent que les patients qui répondent bien à la luminothérapie tendent à constater des améliorations significatives de leur énergie, de leur humeur et de leur fonctionnement général durant les mois d’hiver.
Conclusion
Le trouble affectif saisonnier (TAS) est une condition multifactorielle qui impacte considérablement la santé mentale et la qualité de vie de millions de personnes durant les mois d’automne et d’hiver. En tant que sous-type bien reconnu du trouble dépressif majeur, le TAS est associé à une gamme de symptômes, y compris une humeur basse persistante, une fatigue et des changements dans le sommeil et l’appétit, tous exacerbés par les changements saisonniers de l’exposition à la lumière.
Les recherches actuelles mettent en évidence plusieurs mécanismes physiologiques, dont la perturbation des rythmes circadiens, la dysrégulation sérotoninergique et mélatoninergique, ainsi qu’une prédisposition génétique, qui contribuent à l’apparition du TAS. Ces compréhensions ont guidé le développement de stratégies de traitement efficaces.
A+ et allez jouer dehors,
Julien